Mercredi 25 janvier 2017
Monsieur le Secrétaire Général de la CELAC;
Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement;
Mesdames, Messieurs,
J’éprouve une immense satisfaction à me retrouver au milieu de cet aréopage de Chefs d’Etat et de Gouvernement dédiés à la quête constante et ininterrompue d’intégration économique et sociale. En vous saluant chaleureusement au nom d’une commune appartenance à cette entité de solidarité régionale, je forme le vœu que ce cinquième sommet galvanise l’esprit et les préceptes du Groupe de Rio et réaffirme, de façon péremptoire, la vocation primordiale de la Communauté Economique de l’Amérique Latine et des Caraïbes-CELAC en tant qu’instrument privilégié de concertation, d’unité et de dialogue, appelé à garantir les intérêts de nos concitoyens et de notre région dans son ensemble. À cet égard, j’ai l’honneur de vous transmettre les chaudes et fraternelles salutations de la nation haïtienne toute entière.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais prendre le temps et le plaisir de remercier le pays hôte, la République Dominicaine, et d’une façon particulière, mon collègue et ami, le Président Danilo Medina, pour l’excellente organisation de ce Sommet. Je voudrais également, Monsieur le Président, vous féliciter et vous remercier de la qualité de l’accueil ainsi que de l’attention que vous avez réservée à moi et à ma délégation. Votre posture et vos actions envoient un message éloquent et sans équivoque quant aux liens d’amitié, de fraternité et de solidarité qui tissent les relations entre nos deux pays et nos deux peuples. Votre présence physique à mes cotés et votre soutien spontané à mon pays lors du passage de l’ouragan Matthew en atteste éloquemment. Je voudrais donc profiter de cette tribune régionale pour vous rendre un hommage bien mérité. « Estimado Presidente Danilo, en nombre del Pueblo haitiano y en mi nombre propio, lo digo Muchas Gracias por su amistad, apoyo y solidaridad ejemplar !”.
Mesdames, Messieurs, les Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Ce Sommet m’offre l’ultime opportunité d’un déplacement à l’Etranger en tant que Chef d’Etat. Il intervient à moins de quatre jours de la tenue du second tour des élections programmées pour ce 29 janvier et à moins de quinze jours de l’investiture du nouveau Président élu de la République telle fixée par la Constitution. En raison de l’immensité des taches liées à la réussite de ces deux événements, j’ai longtemps hésité à confirmer ma présence a ces assises. Je tenais cependant à faire ce déplacement pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il s’agissait pour moi de proclamer ma foi dans le processus d’intégration régionale incarné et piloté par cette instance collégiale, mandatée par les Chefs d’Etat et de Gouvernement, afin de raffermir nos liens et rapprocher nos visions du développement économique et social. J’ajouterais égalment environnemental, car désormais cette problématique doit s’inscrire dans tous les agendas. Face aux défis communs, face aux autres blocs économiques régionaux, face à une économie de plus en plus mondialisée, il ne nous reste d’autre alternative, d’autre issue salutaire qu’une coopération renforcée et la consolidation de nos mécanismes d’intégration régionale. La CELAC, aujourd’hui, plus que jamais, représente la voix de l’Amérique Latine et des Caraïbes.
Elle constitue, en même temps, une plate-forme privilégiée pour négocier avec d’autres blocs régionaux des avantages réciproques et des facilités d’accès à de nouveaux marchés pour nos produits, nos biens et services. Il était donc pour moi nécessaire d’effectuer ce déplacement pour apporter la voix et le soutien d’Haïti dans les grandes décisions qui seront prises à ce Sommet, y compris la signature de la « Déclaration conjointe ».
La deuxième raison essentielle de ma présence se rapporte à l’opportunité qui m’est offerte de renseigner les pays amis et voisins de la situation qui prévaut actuellement en Haïti. Des élections élections libres, honnêtes, inclusives et démocratiques qui constituaient l’essentiel du mandat qui m’avait été confié ont été tenues. Le monde entier a salué leur réalisation dans des conditions acceptables d’organisation et de sécurité.
Le 3 janvier dernier, le Conseil Electoral a proclamé les résultats définitifs des élections du 20 novembre 2016, complétant les sièges encore vacants à la Chambre des Députés et au Sénat de la République et consacrant la victoire, au premier tour, de M. Jovenel Moïse en tant que 58e Président de la République d’Haïti. Les principales institutions du pays fonctionnent désormais avec à leur tête des autorités jouissant de toute la légitimité populaire. Du haut de cette tribune, je lui adresse encore une fois mes félicitations ainsi que mes vœux de succès durant son quinquennat. Je saisis cette occasion exceptionnelle pour vous demander, chers Présidents et Chefs de gouvernement, de lui apporter tout votre soutien dans la difficile tâche qui l’attend. J’ai adressé la même demande au Parlement haïtien, représenté à ce sommet par le Président et le vice-président de l’Assemblée Nationale, les Honorables Sénateurs Youri Latortue et Cholzer Chancy et par le Sénateur Jacques Sauveur Jean.
A cela, j’ajoute, que face à mes hésitations initiales, le Président Medina a su trouver les mots justes pour me convaincre de faire le choix de partager avec vous, avant mon départ du pouvoir, ces quelques heures.
Son appel téléphonique du mardi 17 janvier a été plus que déterminant. Comme je l’ai déjà souligné, le Président Medina le plus proche voisin d’Haïti est un ami des bons comme des mauvais jours. Son invitation personnelle et directe ne saurait être ignorée.
Excellences, Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Il y a de cela environ un an, de sérieuses menaces assombrissaient l’avenir politique et démocratique d’Haïti. Un risque de dysfonctionnement planait sur l’ensemble des institutions de l’Etat. Il fallait rapidement relancer le processus électoral enclenché au cours de l’année 2015 et reporté sine die, pour des irrégularités graves et des soupçons de fraudes dénoncées par la presque totalité des acteurs politiques et de la société civile. C’est cette tache spécifique que m’ont confié mes pairs de l’Assemblée Nationale en m’élisant au second degré à la Présidence provisoire du pays.
Parallèlement à ce chantier politique, de grands défis économiques et sociaux m’interpellaient et m’imposaient une quête permanente et courageuse du bien-être collectif. Permettez que brièvement je partage avec vous quelques défis que nous avons relevés. Après quoi j’évoquerai les perspectives d’avenir pour le pays en cette nouvelle année 2017.
LA SITUATION ÉCONOMIQUE. En plus de ce contexte politique difficile, l’héritage sur le plan des finances publiques était désastreux et obligeait le recours à des mesures urgentes de redressement. La gestion macroéconomique du Gouvernement et des dirigeants de la Banque Centrale de la République d’Haïti a été marquée par la prudence et la recherche de la stabilité. Les principaux indicateurs témoignent que les résultats obtenus sont encourageants. Cette période provisoire s’est soldée par la quasi-absence d’endettement additionnel de l’Etat central durant la seconde moitié de l’exercice fiscal 2015-16 et une notable diminution du déficit budgétaire ramené en pourcentage du PIB à 2.9% en 2016 contre 6.6% en 2015. Les réserves internationales nettes de change de la BRH ont remonté fortement, tendance inaccoutumée en période électorale, où l’on s’attendrait plutôt à une pression sur les dépenses publiques conduisant subséquemment à l’utilisation des réserves de change pour contrecarrer les pressions inflationnistes.
L’OURAGAN MATTHEW ET LA SITUATION SANITAIRE. Haïti a été frappée au dernier trimestre 2016 par l’une des catastrophes naturelles les plus violentes depuis le séisme du 12 janvier 2010 ! L’ouragan Matthew a creusé des plaies profondes et des stigmates encore béants. Les dommages et pertes sont évalués à 1.9 milliards de dollars ! En plus de la destruction de l’habitat et des infrastructures routières, de nos écoles et de nos récoltes, le sinistre a saccagé notre environnement, notre flore et notre faune. L’ensemble des conséquences néfastes de la catastrophe n’est guère encore totalement contrôlé, puisque la menace d’insécurité alimentaire guette dangereusement les populations du grand Sud.
Il convient, toutefois, de souligner que le passage de cet ouragan destructeur a généré un exemplaire élan de solidarité humaine. Je saisis encore une fois cette occasion pour remercier l’ensemble des gouvernements, institutions et pays amis qui ont accompagné le peuple haïtien dans ces moments d’épreuve et de désolation. Cependant, Matthew est toujours présent dans ses prolongements sinistres, car les populations des zones affectées sont toujours en situation de détresse économique, de désarroi écologique et de grande précarité sociale.
La réponse du Gouvernement se situe sur deux (2) volets. Le premier adresse l’urgence humanitaire. Le second couvre le redressement et la relève économique. Si au niveau de la réponse humanitaire nous avons reçu une part importante de l’aide d’urgence, nous n’avons pas, pour l’instant, bénéficié du soutien nécessaire pour les activités structurantes et durables du relèvement. Or, il est impératif d’agir sur ce volet pour réduire la vulnérabilité ambiante et augmenter la résilience des populations.
L’ANNÉE A VENIR. Je suis arrivé à la tête du pays en février 2016 dans un contexte d’explosion proche du chaos et de l’anarchie. Le dialogue franc et honnête initié avec toutes les composantes sociales, politiques et économiques a grandement contribué à débarrasser l’horizon des ombres néfastes de l’incertitude politique et du désarroi social. L’échéance constitutionnelle prévoyant le transfert pacifique du pouvoir à un président élu sera respectée ce 7 février 2017 ! Je suis convaincu que vous l’accueillerez comme un ami et un frère dans les prochains Sommets du CELAC et que vous ne lui ménagerez point vos conseils et votre appui. En vous invitant tous et toutes, de vive voix, à participerà la cérémonie d’investiture du nouveau Président de la République d’Haïti, Monsieur Jovenel Moïse, ce 7 février 2017, je réaffirme que je laisse un pays politiquement apaisé et aux institutions renforcées.
Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Si je me suis autorisé un si long développement sur la situation de mon pays dans une réunion internationale, c’est parce que cet exercice me paraissait utile pour mieux mettre en perspective le rôle et la place d’Haïti au sein de la CELAC. C’est en répondant à tous les critères et à tous les paramètres d’un Etat démocratique qu’Haïti pourra mieux assumer son rôle dans l’organisation. C’est dans un climat politique apaisé qu’Haïti trouvera la latitude et la légitimité nécessaires pour évoquer, ensemble avec les autres pays de la région, les défis qui se posent et être en mesure de formuler ces propositions. Il était donc pour moi nécessaire de démontrer que la stabilité et la consolidation des institutions démocratiques en Haïti a des retombées positives non seulement sur le plan national mais aussi sur le plan régional.
Au moment où je m’apprête à rendre mon tablier en tant que Président de la République d’Haïti, il y a un statut qui m’est cher que je ne perdrai jamais : celui de citoyen haïtien, hautement concerné par l’avenir de mon pays et le bien-être collectif de mes compatriotes. C’est à ce titre et au nom de cette double préoccupation que je vous appelle, au terme de mon discours, à prendre la mesure du saut qualitatif que vient d’effectuer mon pays dans la construction de la démocratie et à bien vouloir offrir votre accompagnement aux nouvelles autorités qui vont présider à ses destinées.
Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Bien que chaque pays soit responsable au premier chef de son développement économique et social, le Gouvernement haïtien souhaite trouver en la CELAC le support nécessaire à son décollage économique, au nom des idéaux d’unité et de solidarité ancrés dans la plus pure tradition latino-américaine et caribéenne léguée par les Pères fondateurs de nos patries respectives. Les dispositions en faveur des pays de moindre développement, consignées dans la charte de la CELAC, devraient trouver leur plein accomplissement et leur concrétisation la plus pertinente dans le cas d’Haïti qui pourrait alors s’inscrire au palmarès des succès et de l’efficacité de cet organisme régional.
Une telle performance requerrait la mise en œuvre de la Résolution de coopération spéciale avec la République d’Haïti, adoptée lors du premier Sommet de la CELAC, sincèrement disposée à aider le pays à surmonter les obstacles séculaires dressés sur sa route depuis son indépendance. J’apprécie à leur juste valeur les réflexions menées sur cette question au cours de la quatrième réunion du Groupe de travail de coopération de la CELAC organisée par la Présidence Pro Tempore de la République Dominicaine, les 12 et 13 janvier dernier, à Santo Domingo. Ces réflexions ont stimulé et généré des progrès notables dans la mise en place de notre approche de coopération régionale, avec un accent particulier sur la coopération Sud-Sud et la coopération triangulaire. La décision de mettre en place un programme de coopération entre la CELAC et le Gouvernement haïtien en est une preuve palpable et une conclusion heureuse.
Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Mon Gouvernement se félicite des relations de partenariat que nous avons établies ou consolidées avec des acteurs clés et de grands ensembles de la scène internationale. Les liaisons de la CELAC avec l’Inde, l’UE, la Fédération de Russie ou la République de Corée sont autant d’initiatives heureuses qui ont favorisé le renforcement des relations dans les domaines du commerce, des investissements ou de la finance.
L’une des retombées majeures de ces initiatives devrait engager la participation effective à ces mécanismes des pays de moindre développement de notre Communauté. Dans le cas de mon pays, l’effacement d’une partie du fardeau de sa dette externe et les dispositions drastiques préconisées par les Institutions financières internationales le pénalisent lourdement, l’excluant pratiquement des bénéfices des relations privilégiées que nous avons nouées avec certains partenaires. Pour déjouer un tel scénario, il faudrait que le Quartet de la CELAC, et d’autres Comités désignés à cet effet, fassent le plaidoyer en faveur d’une attention spéciale dévolue à la promotion des investissements dans les pays de moindre développement comme Haïti, à l’octroi de prêts à des taux concessionnels et d’autres mesures préférentielles.
Sur la base des propositions énoncées plus haut et destinées à épargner au pays les sombres perspectives de croissance qui se profilent sur l’année 2017, la Communauté devrait faciliter l’investissement externe et le financement des projets dans les domaines des infrastructures et de l’énergie, en vue d’aménager des retombées significatives sur le relèvement économique et social du pays, lesquelles ont été communiquées par le Gouvernement haïtien, notamment dans le cadre du Forum CELAC-Chine. J’ai bon espoir que la finalisation de l’un de ces projets suivant la procédure établie ouvrira la voie à son exécution, dans l’esprit du traitement spécial dont devraient bénéficier les pays de moindre développement.
Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Dans un monde fragilisé par la montée des inégalités, la menace terroriste et les défis environnementaux, le rôle de la CELAC se révèle d’une importance capitale. Aucun pays ne peut faire face seul, avec efficacité, aux défis mondiaux contemporains. Les pays de l’Amérique Latine et de la Caraïbe disposent, à travers la CELAC, d’un puissant levier de mutualisation des moyens politiques et diplomatiques, pour affronter les menaces, pour faire entendre et respecter leur voix dans les processus de prise de décisions régionales et internationales.
C’est mon crédo et mon espoir pour notre continent. Bon courage à tous !
Vive la CELAC !
Vive la coopération et la solidarité entre nos Nations !
Je vous remercie de votre attention.
Jocelerme Privert
Président
\